La semaine commence à peine et je suis déjà mort!

Publié le par Stevan Sulliven

Au moment même où je vous écris, sachez que chacun de mes muscles se plaint douloureusement au moindre effort. Petit flashback sur l'arrivage du camion d'hier matin, pour vous aider à comprendre pourquoi je suis dans cet état. Le manager nous avait informé que suite à un destockage de l'entrepôt, on recevrait 25%  de marchandise supplémentaire avec notre commande. Mes rayons étant plutôt pleins, ça ne m'avantage pas vraiment, mais puisqu'on n'a pas le choix...
Sauf qu'en déchargeant le camion, nous nous apercevons tous très vite qu'ils ont en fait doublé les quantités que l'on avait commandé! Déjà que j'ai jamais aimé les maths (en tout cas pas plus que la grammaire ou l'histoire géo) mais alors là, les maths selon Simplet, c'est le pompon! Alors faut faire une explication de texte à chaque équation pour disserter des sommes que représentent les chiffres énoncés? Celà dit, ça explique beaucoup de choses... Maintenant quand les clients utilisant Rapid'Simply viendront se plaindre que les prix correspondent pas aux étiquettes, je pourrais facilement m'en débarasser: "Désolé, madame, mais chez Simplet, un quart veut dire 100%, alors vous allez pas chialer pour quelques cents!"
Ce matin, en arrivant en réserve, j'ai vachement moins envie de rire... Je sors deux palettes énormes, deux colosses qui me toisent de si haut que j'en ai le vertige, tellement massif que j'ai des courbatures rien qu'à penser aux efforts qu'il me faudra fournir pour leur faire mordre la poussière. Mais tel le Troyen dont l'armure étincelle sous le regard de l'Aurore au doigts de rose, je prends mes tripes à pleines mains (moi au figuré, lui, au propre), et me lance dans la bataille. La lame rétractable de mon fidèle cutter, dans la froide paleur des néons, renvoie la lumière et semble un sabre laser. Je mime son bourdonnement de ma bouche tandis que j'éventre le film protecteur comme Luke sa monture au début de "L'empire..."
A la fin de la première palette, mes rayons sont quasiment saturés de marchandise, et je nage déjà dans le stock. Mais il faut encore que je remplisse, car on a eu la consigne très stricte de ramener le moins de marchandise possible derrière, car nous allons recevoir la seconde vague de promos anniversaire, celles de Pâques. Alors je continue à entasser ce que je peux encore rentrer de la seconde palette. En allée centrale, j'ai une tête de gondole presque vide contenant les quelques rescapés des premières promos anniversaire. Demain, je devrais la remplir avec les nouveaux produits en promotion. Qu'à celà ne tienne, me dit le manager, et sur son ordre, je la remplis elle aussi à craquer. Une fois fini, je remonte le stock sur une palette. C'est fatigant, mais marrant. J'ai l'impression d'etre payé à jouer à Tetris ou au Lego, et je m'amuse à optimiser l'agencement des cartons pour assurer stabilité et ergonomie du chargement. Par ergonomie, je veux dire que je laisse pour le dessus les colis des grosses sorties, soit ceux que je serais surement amené à recharger demain matin. J'insiste là-dessus parce que je me trouve particulièrement ingénieux sur ce coup-là...
A vrai dire, c'était facile à faire, il n'y en avait pas beaucoup, dans le stock, des produits qui partent bien. Forcément, dans leur déstockage y avait surtout tous ces produits qui partent pas, et que je vais me coltiner jusqu'à va savoir quand...
Ensuite, je ramène la palette en réserve, tout content de ma journée, sauf qu'il n'y a plus de place en réserve! Des palettes obstruent partiellement les couloirs de la partie bureaux, bref, où vais-je bien pouvoir mettre la mienne? Dans le parking?! Faut dire qu'à ce point de la journée, je suis déjà bien fatigué, et ça ne me rend pas d'un naturel des plus aimables. Heureusement le stagiaire manager s'empare du trans-palettes et m'assure qu'il va trouver une place. Puis il me demande d'aller aider ceux qui ont besoin d'un coup de main. Je vais donc aider Fabrice à remplir ses boites de conserve jusqu'à ce que plus rien ne rentre et qu'on n'ait plus besoin de s'amuser à faire du facing. Enfin, tandis que je ramène les cartons éventrés empilés dans leur rolls comme des rwandais dans une fosse commune, il ne peut pas s'empêcher de tourner les boites dont l'étiquette est un peu trop de travers. Je le trouve con, mais en même temps, ça me fait sourire; les gens maniaques ont quelque chose d'attendrissant quand on est bordélique.
Sur le chemin de la réserve, je vois Audrey qui semblent galérer, et je résouds d'aller lui porter secours. Je crois que c'était plus par nostalgie pour ces rayons qui furent aussi un peu les miens il y a peu que par compassion pour cette grognasse obèse. Après tout, quand les gens atteignent un telle masse corporelle qu'ils semblent sur le point de développer leur propre champ gravitationnel, la compassion ne serait-ce pas plutôt les laisser profiter de cette opportunité pour faire de l'exercice et suer comme des porcs?
Ah nostalgie! Déesse facétieuse! Que tu nous rends risibles lorsque tu nous tiens en ton pouvoir! Au nom du bon vieux temps, soit il y a de celà à peu près trois semaines, j'écoute sans éprouver de haut-le-coeur le babil de ma collègue. Rien n'a changé. Toujours la même sainte trinité, toujours les mêmes anecdotes sans intérêt sur son chat et son chéri. Et moi, grâce au pouvoir de la nostalgie, j'arrive même à faire l'intéressé. Mais Audrey disparait rapidement, pour revenir quelques dizaines de colis plus tard, emmitouflée dans la puanteur du tabac froid. Ouais, exactement comme au "bon vieux temps", elle profite de ma présence pour se la couler douce.
(Note mentale: ne plus jamais aider cette connasse.)
A la fin de la palette, je me casse pour aider Bouchra. Audrey est choquée que je l'abandonne. La pauvre, elle va devoir se remettre à bosser! Le monde est vraiment trop injuste! Et plus elle fait son Caliméro, plus je jouis dans mon froc. Lorsque je pénètre "l'univers femme-enfant" du magasin, je suis extatique. Si bien que quand ma collègue me demande si je veux bien mettre les tampons en rayon, j'acquiesce sans y penser à deux fois. D'ailleurs, ce fut très instructif. Enfin tout est relatif, mais je ne savais pas que le marché des pattes à cul était aussi segmenté. je découvre par exemple qu'il y a des serviettes hygiéniques conçues spécialement pour les salopes qui ne peuvent pas s'empêcher de porter un string, même ces jours-là! Dommage que la Saint-Valentin soit déjà passée, ça aurait été un super cadeau pour ma femme, et dans mon budget en plus!
On finit à 14 heures. On a tellement gavé les rayons que le magasin semble sur le point de gerber. Mais ça doit être parce que nos muscles ont la nausée...
Je crois que ce récit touche à sa fin, alors il ne me reste plus qu'à aller me coucher en appliquant la méthode coué: "Demain n'existe pas, demain n'existe pas..."
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Z
<br /> "je savais que le marché des pattes à cul était aussi segmenté".<br /> > Quelle finesse!<br /> C'était un long article que tu nous as pondu là! Mais j'ai tout lu. C'est vraiment un boulot de bagnards, peut être que dans 2 jours tu seras soulagé (physiquement et financièrement)...<br /> <br /> <br />
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