J-1

Toujours aucune nouvelle de la part du management. Je suis allé zoner un peu sur anpe.fr, y a pas grand chose. Je croise les doigts pour que demain ne soit pas mon dernier jour. Pourtant, avec ces histoires de stock supplémentaire et de promos anniversaire, ce fut une semaine très éprouvante. Je suis sur les rotules. Un peu de repos serait le bienvenu, mais je suis résolu à faire sourde oreille aux injonctions de mon poil dans la main. Demain j'irai, même s'ils ont décidé de ne pas me garder.

En attendant, faut absolument que je vous raconte quelque chose qui m'a fait halluciner, ce midi. Ca c'est produit juste après la fin de ma journée de travail, alors que j'allais quitter le magasin. Je faisais la queue en caisse, ma femme m'ayant demandé de la ravitailler en Blédine pour la petite. Devant moi, il y a un monsieur entre deux âges qui s'aperçoit que la promotion annoncée sur la bisque de homard ne fonctionne pas en caisse, et conteste. Jusque là, rien d'anormal, après tout, profiter des prix anniversaires, c'est son droit le plus intime. La caissière appelle mon manager pour qu'il vienne régler le problème, et il arrive rapidement, tout sourire à l'égard du client mécontent: "Bonjour monsieur, quel est le problème?" "Eh bien, j'en ai deux à vrai dire. Pour commencer, cette caissière parle trop fort et ça m'ennuit." Le manager ne perd son aplomb que l'espace d'une seconde, avant de s'excuser pour la caissière et de gérer le vrai problème du client. Moi je reste un long instant stupéfié par le culot du bonhomme. Le pire c'est que la caissière n'a rien fait de mal. Comment peut-on être aussi vicieux, aussi bas? Non, en fait, le pire, c'est que le manager se soit excusé, du fond de sa cervelle chétive car totalement délavée par les leçons de conduite de la Simplet Academy. Du coup, c'est comme s'il avait raison, ce sale con; finalement, c'est normal de se plaindre des petits détails qui nous ennuient, même si ça peut valoir de gros ennuis à la personne qui a osé ternir de son timbre de voix trop haut perché l'immaculée perfection de nos mornes existences! Des excuses?! Alors que la seule réponse possible à l'absurde plainte de cet authentique connard était l'indignation, qu'il comprenne que c'est pas parce que les gens sont en bas de l'échelle sociale qu'ils n'ont pas moins que lui le droit de vivre.
Heureusement, le temps que la moutarde me monte au nez, le manager l'avait remboursé, et il était loin, parce que avec la pression de l'incertitude par rapport à mon contrat qui en rajoute une couche, je crois que je lui aurais volé dans les plumes, à ce chacal!
Mais en sortant, je me suis aperçu que, bien que mon indignation soit légitime, j'avais tort. Après tout, vivre plus d'un quart de siècle en démocratie, ça laisse des sequelles. Seulement les temps ont changé, maintenant que l'Hexagone ressemble à un mix improbable d'Hollywood et de Guantanamo nommé Sarkoland. Enfin, je dis ça de mon point de vue de plébéïen qui crèche dans une té-ci mal famée. J'imagine que pour les bourgeois des banlieues pavillonnaires, Sarkoland ressemble plus à la Comté de Tolkien: verdoyante, bon-enfant, et imaginaire, bien sûr. Et oui, depuis qu'un Hobbit nous gouverne, nous sommes une succursale du Mordor, car nous avons succombé à la dictature des cons!