Mardi: "Vivement le week-end!"

Publié le par Steven Sullivan

Comme mardi est généralement une journée creuse dans la grande distribution, et aujourd'hui, ce fut le cas au magasin, je vais en profiter pour expliquer au consommateur qui n'a jamais été salarié d'une telle enseigne comment fonctionnent les coulisses des endroits où vous faites vos courses.
En effet, ce n'est pas par magie que les victuailles arrivent du producteur dans votre assiette. Je n'ai pas non plus l'intention de vous saouler en vous décrivant par le menu toute la chaine logistique entre les entrepôts William Saurin et l'assiette de Léa, étudiante en fac de psycho. Pour ceux que ça intéresse, y a surement des documentaires là-dessus, zavez qu'à utiliser google si vous voulez vous instruire, ce qui est une démarche tout à fait louable, surtout que c'est plus facile que jamais de se coucher moins con de nos jours, m'enfin, c'est vrai que c'est toujours plus facile de zapper sur la téloche...
Je vais donc me concentrer sur l'organisation du magasin en elle-même, comment la marchandise arrive du camion et se retrouve dans les rayons. Mon quotidien, quoi...
Si j'avais été un gosse aussi con que ceux de la nouvelle génération (à part mon fils, bien sûr!), surement qu'en accompagnant ma mère aux courses un soir où elle manquait de farine, voyant les rayons dévastés, vidés par des mains rapaces, les plastiques éventrés au rayon des liquides, les traces noires au sol, puis y retournant le lendemain matin pour prendre du lait ou du beurre, retrouvant le magasin rempli à craquer et immaculé, je me serais imaginé que des elfes avaient magiquement remis tout en place pendant mon sommeil. En fait, je n'aurais pas été aussi éloigné de la vérité que ça. Comme quoi, les gosses d'aujourd'hui sont peut-être moins cons que leur parents après tout? (en tout cas, pour ce qui est du mien, j'en suis quasiment sûr...)
En effet, alors que dorment encore les honnêtes-gens, se lève une armée pour qui "potron-minet" rime avec "grasse-matinée" (ben ouais, c'est pas parce qu'ils ont pas leur bac qu'ils reconnaissent pas une rime quand ils en voient une!)
Chaussures de sécu en guise de rangers, leur uniforme arbore fièrement les couleurs du Super-Marquis (ou même pour les plus chanceux de l'Hyper-Marquis!) qui les emploie. Leur cutter frémit dans la poche, prêt à être dégainé, la lame gémit silencieusement sa hâte d'être propulsée à l'air libre, hors de ce prépuce de plastique qui l'oppresse. Mais son maitre doit calmer ses ardeurs: "Ne t'inquiètes pas, Ô mon excalibur au rabais, tu vas bientôt fendre les emballages, tailler le carton, charcuter le scotch et éventuellement mordre généreusement dans ma chair au détour d'un faux mouvement, mais là, je ne peux encore te sortir, nous sommes dans un lieu public, et avec Vigipirate, tu sais aussi bien que moi que ce ne serait pas une bonne idée". Mais la perspective d'une pénétration suivie d'un épanchement de fluides corporels excite d'autant plus la lame, après tout, à sa place vous en feriez autant, et elle vibre à présent dans ma poche comme un ipod sans gps, ou plutôt un vibro sans vaseline. Non mais, rassurez-vous, pas question que je me le mette là où on pense, car à l'heure à laquelle je suis dans le bus qui me dépose vaillamment non loin de l'antre maléfique du Super-Marquis, à savoir 5h du mat et des brouettes, je suis bien trop occupé à avoir la tête dans le cul.
Imaginons que nous pouvons voler et prenons une position en hauteur pour observer cette armée de petits elfes lorsqu'elle arrive au boulot, comme elle s'active, montons un peu plus haut pour qu'ils aient l'air de fourmis à présent; on a dit qu'on peut voler, on a qu'à dire qu'on voit aussi à travers les murs, tant qu'à faire. Regardez les sortir en flot nourri de la réserve, charriant des palettes remplies de colis, soufflant comme des boeufs tandis qu'ils s'éparpillent dans le magasin, chacun sa palette, chacun son rayon. Chaque fourmi s'approche lentement de sa palette, tandis qu'une tension palpable emplit l'air. Ce sont les lames des cutters, qui sentent que la délivrance est proche. Elles savourent lentement cet instant où elles sont encore à l'abri dans leurs poches respectives. Bientôt, ce sera la jouissance, mais encore faudra-t-il être à la hauteur... L'appréhension de ma lame se diffuse confusément à travers mon pouce, mais, de concert avec mes collègues, je réponds "quand faut y aller, faut y aller", et je propulse la lame sous le soleil latrinal des néons, et déjà ma main la guide doucement tandis que l'acier déflore le film protégeant les palettes dans un soupir d'extase!
Contemples alors, de ton perchoir céleste, les fourmis qui s'activent, dans les rires rageurs des cutters et les râles d'agonie des emballages. Les plastiques éventrés et les cartons décapités jonchent le sol piétinés par les pas pressés de samourais stakhanovistes qui déballent d'une main et rangent de l'autre, à en perdre haleine. Condescends à descendre les observer de plus près, ces insectes qui somme toute, te nourrissent. Sens-tu leur sueur? non? alors approche-toi encore, jusqu'à ce que tu distingues cette lueur inexistante au fond de leur pupilles, jusqu'à ce que tu sois assez prêt pour sentir l'endolorissement de leur muscles, l'abrutissement généré par une tâche mécanique.
Fais ça pour moi, lecteur, je t'en prie, avant de retourner au XXIème siècle, où tout est si beau et si propre, avant de retourner vers l'endolorissement de ton fessier et du pouce qui tient la télécommande, vers l'abrutissement généré par une déferlante d'images HD et de son dolby surround. Et estimes-toi heureux...

Publié dans saison 0

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S
<br /> Je vais regarder "cash-back" de ce pas! ;)<br /> <br /> <br />
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Z
<br /> Wouahou!!! Quel poète! Franchement il y a moyen que tu fasses publier un bouquin (sponsorisé par Super Marquis?), un recueil de tes anecdotes. Tout cela me fait un peu penser au film "Cash Back" de<br /> Sean Ellis (excellent film!!!), que tu as peut être déjà vu, où les personnages travaillent dans un supermarché et partent tous dans leur trip personnel pour échapper à la réalité de leur job!<br /> En tout cas, je n'aurais pas pensé que Steven Sullivan travaillerait un jour pour une durée assez longue (1 an déjà!) dans un super marché! Lui, qui est tellement loin de tout formatage industriel<br /> et autres enseignes markettées! C'est d'autant plus courageux, de rentrer dans un système pour lequel son mode de pensée est totallement opposé. Mais ne serait-ce pas un moyen de mieux infiltrer le<br /> milieu et d'être le réel témoin de la déchéance de notre civilisation? N'y a t-il pas derrière cet acharnement masochiste une quête d'inspiration artistique?<br /> Voir même, mais je n'ose à peine y penser, un moyen de faire imploser la machine tel un cheval pénétrant dans Troie sans susciter le moindre soupçon...<br /> Attention, le syndrome "99frs" te guête!<br /> ; )<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Oh mon dieu je vais chialer... je me rappelle avoir fait ce taff aussi ... j'ai tenu 6 jours. C'est juste l'enfer.<br /> <br /> Je préfère crever sous un pont sérieux ... Avec ma gratte ouais ...<br /> <br /> Steven arrête ça tout de suite ça s'appelle un suicide social !!!<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Ai-je été trop lyrique? :p<br /> <br /> <br />
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