Revenons à nos fourmis...
Dans les magasins du Super-Marquis Simplet, il y a comme une division entre les équipes travaillant au PGC, soit les Produits de Grande Consommation, et celles mettant en rayon les "produits frais" (fruits et légumes, yaourts, fromages, boucherie, charcuterie, poissonnerie et surgelés).
Simplet, à travers la bouche de ses formateurs, et dans ses vidéos institutionnelles, prône pourtant la solidarité et l'entraide au sein de ses équipes, les encourageant à se serrer les coudes dans l'adversité comme une grande famille. Pourtant, il y a comme une rivalité, alimentée par le management. Pourquoi? Parfois, je pense que c'est justement à cause de cette idée utopique de grande famille, parce que le Super-Marquis nous considère comme ses enfants, qu'il espère ainsi faire naître en nous, de cette rivalité, l'émulation qui en résulte souvent au sein des enfants d'une même famille. Dans la réalité, nous ne sommes pas très loin du compte. Le PGC et sa soeur "Frais" se chamaillent pour captiver l'attention bienveillante de leur père un peu absent. Au royaume de Simplet, Oedipe ne s'est crevé qu'un oeil, et nul besoin de rappeler qu'au royaume des aveugles, les borgnes sont rois! Alors, imaginons que ce matin, tu aies eu besoin d'emprunter le trans-palettes des fruits et légumes, car c'est la crise pour tout le monde, il est donc naturel que chacun manque de materiel pour travailler chez le Super-Marquis, qui, permettez-moi de le signaler au passage, est plus radin qu'un ecossais sans le sou, et imaginons ensuite que tu ne l'aies pas rapporté en temps et en heure, tu sais très bien que tu peux t'attendre prochainement à un petit coup de pute de la part de ton collègue vexé de cette atteinte à sa productivité, un peu comme quand tu squattais le game-boy trop longtemps et que plus tard, tu retrouvais le frangin avec un air faussement innocent à côté de ton lit fait en porte-feuille... Chaque jour, dans chaque magasin du Super-Marquis, le chiffre d'Affaires de la journée précédente est affiché afin que chaque employé en prenne connaissance.
Tenez, permettez-moi une digression, mais il me faut consacrer un paragraphe au "rituel du Chiffre". En effet, le CA a une importance capitale dans la mesure de la croissance du magasin. Et, en ces temps de crise, alors que les consommateurs serrent les cordons de la bourse, l'évolution des ventes obnubile le management, qui sait pertinemment que le Super-Marquis ne sera pas content s'il ne peut plus remplir ses poches à craquer d'espèces sonnantes et trébuchantes. Ainsi, chaque matin, tous les membres du personnel sont invités à détailler studieusement les chiffres de chaque rayon, le pourcentage d'évolution par rapport à l'année précédente, etc.
Les managers saisissent souvent l'occasion pour comparer les chiffres du PGC et du frais; le chef de rayon ayant réalisé le meilleur score n'hésitant pas à se pavaner et à vanner, comme le gamin qui ramène une bonne note à la maison se moque de son frère le cancre. Oui, au cas où vous ne l'auriez pas compris, la Grande Distribution est un monde infantile.
Mais d'un autre côté, je pense que cette rivalité, établie de fait par le management, lui permet ainsi de diviser pour mieux régner. Après tout, ils savent très bien qu'arriver à créer une équipe soudée n'est pas évident dans ce métier où le turn-over est important. Quasiment tous les gens qui échouent ici, le font dans l'attente de trouver quelque chose de mieux. Car les postes mieux payés et moins fatigants abondent. Pour nombre d'entre eux, toutefois, l'attente sera vaine, et avec la routine qui s'installe, les voilà qui finissent par s'installer bien au chaud dans le cocon du Super-Marquis, presque à l'insu de leur plein gré. Et après 10 ans d'ancienneté, on les retrouve en train de végéter au niveau 2, car n'ayant jamais pris ce travail au sérieux, ils n'ont jamais cherché à acquérir plus de responsabilités ou à s'impliquer au-delà du cadre fixé par leur contrat de travail. Alors, pour arriver à manipuler, voire motiver, ces je-m'en-foutistes, soit la majorité de la fourmillière, les cigales qui les gouvernent chantent à longueur d'année des arias improvisées et stridentes qui alimentent les luttes intestines, affermissant inconsciemment chez les uns et les autres l'idée (et le besoin) d'appartenance à l'une ou l'autre tribu.
La Grande Distribution est une préhistoire moderne. Les managers sont cette tribu supérieure qui a conquis la nature, et en dignes fils de Prométhée, leur puissance vacille dans la promesse généreuse d'en faire profiter les hommes. Alors, tandis que les semi-dieux festoient dans la lueur du brasier, leurs ombres dansant sur les parois de la caverne comme dans le mythe platonicien, les tribus s'entre-déchirent pour une étincelle, dans l'espoir vain de séduire ces sombres reflets qui s'agitent au dessus de leur têtes.
Simplet, à travers la bouche de ses formateurs, et dans ses vidéos institutionnelles, prône pourtant la solidarité et l'entraide au sein de ses équipes, les encourageant à se serrer les coudes dans l'adversité comme une grande famille. Pourtant, il y a comme une rivalité, alimentée par le management. Pourquoi? Parfois, je pense que c'est justement à cause de cette idée utopique de grande famille, parce que le Super-Marquis nous considère comme ses enfants, qu'il espère ainsi faire naître en nous, de cette rivalité, l'émulation qui en résulte souvent au sein des enfants d'une même famille. Dans la réalité, nous ne sommes pas très loin du compte. Le PGC et sa soeur "Frais" se chamaillent pour captiver l'attention bienveillante de leur père un peu absent. Au royaume de Simplet, Oedipe ne s'est crevé qu'un oeil, et nul besoin de rappeler qu'au royaume des aveugles, les borgnes sont rois! Alors, imaginons que ce matin, tu aies eu besoin d'emprunter le trans-palettes des fruits et légumes, car c'est la crise pour tout le monde, il est donc naturel que chacun manque de materiel pour travailler chez le Super-Marquis, qui, permettez-moi de le signaler au passage, est plus radin qu'un ecossais sans le sou, et imaginons ensuite que tu ne l'aies pas rapporté en temps et en heure, tu sais très bien que tu peux t'attendre prochainement à un petit coup de pute de la part de ton collègue vexé de cette atteinte à sa productivité, un peu comme quand tu squattais le game-boy trop longtemps et que plus tard, tu retrouvais le frangin avec un air faussement innocent à côté de ton lit fait en porte-feuille... Chaque jour, dans chaque magasin du Super-Marquis, le chiffre d'Affaires de la journée précédente est affiché afin que chaque employé en prenne connaissance.
Tenez, permettez-moi une digression, mais il me faut consacrer un paragraphe au "rituel du Chiffre". En effet, le CA a une importance capitale dans la mesure de la croissance du magasin. Et, en ces temps de crise, alors que les consommateurs serrent les cordons de la bourse, l'évolution des ventes obnubile le management, qui sait pertinemment que le Super-Marquis ne sera pas content s'il ne peut plus remplir ses poches à craquer d'espèces sonnantes et trébuchantes. Ainsi, chaque matin, tous les membres du personnel sont invités à détailler studieusement les chiffres de chaque rayon, le pourcentage d'évolution par rapport à l'année précédente, etc.
Les managers saisissent souvent l'occasion pour comparer les chiffres du PGC et du frais; le chef de rayon ayant réalisé le meilleur score n'hésitant pas à se pavaner et à vanner, comme le gamin qui ramène une bonne note à la maison se moque de son frère le cancre. Oui, au cas où vous ne l'auriez pas compris, la Grande Distribution est un monde infantile.
Mais d'un autre côté, je pense que cette rivalité, établie de fait par le management, lui permet ainsi de diviser pour mieux régner. Après tout, ils savent très bien qu'arriver à créer une équipe soudée n'est pas évident dans ce métier où le turn-over est important. Quasiment tous les gens qui échouent ici, le font dans l'attente de trouver quelque chose de mieux. Car les postes mieux payés et moins fatigants abondent. Pour nombre d'entre eux, toutefois, l'attente sera vaine, et avec la routine qui s'installe, les voilà qui finissent par s'installer bien au chaud dans le cocon du Super-Marquis, presque à l'insu de leur plein gré. Et après 10 ans d'ancienneté, on les retrouve en train de végéter au niveau 2, car n'ayant jamais pris ce travail au sérieux, ils n'ont jamais cherché à acquérir plus de responsabilités ou à s'impliquer au-delà du cadre fixé par leur contrat de travail. Alors, pour arriver à manipuler, voire motiver, ces je-m'en-foutistes, soit la majorité de la fourmillière, les cigales qui les gouvernent chantent à longueur d'année des arias improvisées et stridentes qui alimentent les luttes intestines, affermissant inconsciemment chez les uns et les autres l'idée (et le besoin) d'appartenance à l'une ou l'autre tribu.
La Grande Distribution est une préhistoire moderne. Les managers sont cette tribu supérieure qui a conquis la nature, et en dignes fils de Prométhée, leur puissance vacille dans la promesse généreuse d'en faire profiter les hommes. Alors, tandis que les semi-dieux festoient dans la lueur du brasier, leurs ombres dansant sur les parois de la caverne comme dans le mythe platonicien, les tribus s'entre-déchirent pour une étincelle, dans l'espoir vain de séduire ces sombres reflets qui s'agitent au dessus de leur têtes.